mardi 4 juin 2013

This place is our zoological garden now*








> Dimanche 26 mai. La terre du Kosovo s'étend à hauteur d'homme. Une large plaine coincée entre des chaînes montagneuses serbes, monténégrines, albanaises et macédoniennes. Un regard du haut des collines de Pristina en atteint les confins, balaie ses deux millions d'habitants, ses villages modestes aux baraques inachevées de briques apparentes et ses usines désaffectées.

Pour le visiteur, le Kosovo se parcourt aisément et offre des trésors inattendus, comme la mosquée Pasha à Prizren, ancienne capitale de la Serbie médiévale (1) à l'atmosphère délicieusement turque aujourd'hui, les gorges de Rugova, le bazar et le patriarcat orthodoxe de Peja aux quatre églises byzantines accolées merveilleusement peintes ou le monastère de Gracanica. Ces derniers, hauts-lieux de l'art orthodoxe, sont plantés en de petites enclaves serbes gardées par la KFOR(2). Au déchaînement de violence serbe de 1999 suite auquel a été instauré ce protectorat a succédé une violence kosovare albanaise en 2004. De nombreux sites historiques et religieux serbes ont été détruits à cette occasion, devant les yeux de la KFOR impuissante.

Le Kosovo s'étend bien à hauteur d'hommes, qui se scrutent, se provoquent et se toisent. Les sentiments et ressentiments s'écrivent par murs interposés. A Kosovska Mitrovica, symbole de la ville divisée, poste frontière fantôme de l'enclave serbe du nord du Kosovo, la parole semble coupée comme le pont sur l'Ibar entre les moitiés serbe et albanaise de la ville. Des messages évocateurs et provocateurs s'étalent anonymement. « Serbia is my castle, never surrender », « Eulex (3) go home », ou encore des épitaphes aux héros albanais de l'armée de libération du Kosovo. Les serbes au nord viennent d'achever la construction d'une monumentale église orthodoxe, tandis que les albanais du sud s'attellent au chantier de leur grande mosquée. Dans les cortèges de mariage des deux côtés du fleuve, une voiture de tête précède les mariés. Par la fenêtre on y agite qui le drapeau serbe, qui le drapeau albanais. Et pourtant, partout la vie est rythmée par le café que l'on sirote en terrasse et cette douce indolence des déambulations entre les vendeurs de burek et de cevapi. Des messages sur les murs, nous n'avons voulu garder en image qu'une certaine idée de la poésie.

Paix et développement économique, très relatif et poussif, dépendent en partie de l'aide, voire de l'ingérence dès qu'il s'agit d'élections, de l'Union Européenne et surtout des USA. A Pristina, le boulevard Bill Clinton, orné d'une statue et d'un portrait géant du principal artisan de l'intervention armée de l'OTAN en 1999, coupe la rue Georges W. Bush, soutien de l'indépendance en 2008. Partout poussent les projets du programme de développement des Nations Unies et le pays respire grâce au FMI et à la banque mondiale. Une aube se prépare peut-être, un accord historique de réconciliation entre la Serbie et le Kosovo, largement piloté par l'Union européenne, a été signé le 19 avril dernier. Reste à voir comment les serbes du Kosovo se l'approprieront.

*Poème du poète kosovar Arben Idrizi, dans lequel il évoque ce que le Kosovo est devenu : une toile de haine et de guerre où les habitants acceptent la paix seulement comme un mal nécessaire. La métaphore du zoo illustre l'artificialité de ce lieu. Les membres de l'audience regardent le Kosovo et son peuple comme des animaux dans un zoo, observent et scrutent la coexistence de différents groupes ethniques qui il n'y a pas si longtemps se faisaient la guerre.

(1) : Ici il est peut-être utile de préciser que suite à leur défaite face aux turcs en 1389, les serbes ont abandonné le Kosovo aux albanais, descendants des Illyriens, les premiers habitants de cette terre. Les serbes n'en ont repris le contrôle qu'en 1913 au départ des turcs, avec force expropriations et colonisation, ouvrant un boulevard à un nouveau siècle d'opposition ethnique. L'histoire mêlée des serbes et des albanais au Kosovo fait donc feu de longue date.
(2) : Kosovo Force, force militaire internationale sous commandement de l'OTAN
(3) : Mission civile de l'Union européenne au Kosovo mise en place en 2008 suite à la proclamation d'indépendance du Kosovo. Elle remplace la mission d'administration intérimaire des Nations Unies (MINUK) et exerce des fonctions de police et de justice.

Photos : Rugova, Prizren, Mitrovica, Pristina, Peja








Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire