lundi 29 juillet 2013

Dérive caspienne












> Mercredi 17 juillet. La réputation de la traversée de le mer caspienne précède largement l'aventure pour tout voyageur posant le pied à Baku. Deux routes maritimes existent, Baku-Turkmenbashi et Baku-Aktau, avec quelques places pour des passagers sur des ferrys de marchandises. La porte vers l'Asie centrale par le Turkménistan ou le Kazakhstan. Des quasi-légendes, aux accents de voyages au long cours circulent ici et là. Il se raconte que l'on ne sait jamais quand un ferry sera en partance, au mieux le matin même, que peut-être il se chargera de produits chimiques et refusera alors tout passager, que la traversée d'une nuit pourra se voir prolonger pour d'obscures raisons.

Pour nous vers Aktau, elle fut de trois jours. Pour cause de tempête. Il en existe, même sur le plus grand lac du monde.

L'embarquement nous parut suspicieusement aisé. Un appel, une traversée de la ville en bus pour tenter le départ avec un bateau quarante minutes plus tard, un passage douanier sans accroc et finalement à peine deux heures d'attente une fois à bord avant de lever l'ancre. La première nuit fut très agitée. De vagues impressions de tanguer sur plusieurs mètres de la cime au creux des vagues dans un sommeil confus. Le lendemain matin, la côté kazakh est en vue. On pense atteindre le port, l'ancre touche le fond. Face au désert.

Trop de vent pour espérer rallier Aktau. Il nous faudra attendre. Et c'est finalement là, sans bouger de plus de quelques kilomètres en quarante-huit heures, que la véritable traversée prend corps. Le temps d'absorber par tous les pores chaque parcelle rouillée du navire sous une chaleur étouffante qui nous cloisonne le plus clair du temps dans les cabines et couloirs. Un paradoxe de mouillage dans une rade à la mer d'huile où la tempête nous a fait chercher abri.

Quarante-huit heures sur un ferry de la caspienne, seuls étrangers au Caucase ou à l'Asie centrale à bord, c'est voir des marins taciturnes se fendre lentement de timides puis de larges sourires avec ce temps partagé, volé aux réalités terrestres. C'est un domino aux règles obscures avec les femmes de cuisine du navire. C'est une quantité incroyable de thé siroté avec l'équipage à côté d'un jeu de nard, le backgammon local, échanges compris des souvenirs de traversées de la méditerranée, du port de Fos et de l'ennui de la Caspienne. C'est écouter au-dessus d'un whisky-coca et d'une vodka le rire cristallin de Mark, importateur kazakh de voitures géorgiennes, de retour chez lui avec sa marchandise. Laisser s'envoler son imagination vers ces 4000km qu'il va devoir avaler en trois jours au débarquement à Aktau pour rejoindre Almaty, jalonnés de l'incertitude de contrôles douaniers à chaque entrée dans une nouvelle région du pays.

C'est aussi parler de soi, de son projet. Ne pas forcément espérer être compris par ces hommes dont le premier but est d'amasser un petit pécule pour s'offrir un toit et une voiture, -la plus grosse possible de préférence. Les voir jeter chaque bouteille vide à la mer avec un pincement de cœur. Les poissons n'y liront certainement aucun message d'avenir de la part de marins qui n'ont aucun respect ni crainte envers cette mer qui les fait crever d'ennui. Parler avec eux de religion, de famille, de littérature européenne. Attendre avec eux.

Et un matin, le troisième jour, apercevoir enfin au loin l'entrée du port. Nous débarquons, vaguement soulagés quand même. Les marins eux n'ont pas tout à fait cette chance. Six heures plus tard, l'ancre sera de nouveau levée.








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