mercredi 25 septembre 2013

Passer la muraille de Chine

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> Mercredi 11 septembre. Il fallait bien la quitter cette Asie Centrale. Pour ne pas déroger à la règle des hauteurs, le passage en Chine ne peut s'effectuer qu'à près de 3000m. Nous choisissons l'Irkeshtam, réputé moins aléatoire que le Torugart.

En route, le bout du monde, kirghiz du moins, s'appelle Sary-Tash. Quelques pauvres maisons basses, des troupeaux épars, de pauvres hères, des enfants qui se gaussent de leurs propres « hello » jetés aux étrangers de plus en plus nombreux qui attendent ici leurs dernières minutes nomades. Peut-être un peu de trafic de drogue afghane aussi mais cela se joue sur un autre réseau.

Au petit matin, l'espoir d'un camion chinois en partance vers Kashgar et qui pourra nous débarquer au poste frontière s'effiloche au froid mordant. Le muezzin rit sous cape en traînant ses godasses dans le silence du village pour la prière de 6h. Nous sommes là depuis une heure déjà et rien. Après deux heures, longues comme jamais, nous aurons vu passer une unique voiture, vrombissante.
« No truck, no truck », s'esclaffent les bergers en nous offrant le transport à un prix indécent.

Finalement, il viendra ce camion tant espéré. A son bord, nous longerons des paysages bien trop grands pour des semelles d'hommes, la chaîne des Pamir, des crevasses et les dernières yourtes des plus endurcis de ces bergers du bout du monde. Passé l'Irkeshtam, dans ce no man's land de 140 km traversé en plus de 5h à bord d'un autre camion dans lequel nous auront jetés les autorités chinoises, c'est bien en effet un autre monde qui s'ouvre. Collines moirées douces et pierreuses, la porte du désert du Taklamakan déjà.

Au véritable poste frontière d'entrée en Chine -allez savoir pourquoi les chinois ont décidé il y a deux ans de déplacer leur frontière à 140km de l'Irkeshtam en territoire chinois-, les douaniers contrôlent nos cartes du pays. Confisquent celles qui n’incluraient pas toutes les provinces officiellement chinoises. Un militaire armé jusqu'aux dents, fusil automatique et casque d'assaut, nous convoie en voiture de golf entre deux postes de contrôle sur quelques centaines de mètres. La douceur du véhicule électrique, la fraîcheur de la fin d'après-midi après une journée de poussière brûlante et la fatigue aidant, l'on se dit un instant qu'ici l'on est accueilli avec bien des égards. Au diable l'incongru de la situation.

Photos : Sary-Tash









mardi 10 septembre 2013

Approche lacustre

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>Samedi 31 août. Vouloir entamer une pérégrination de trois jours à cheval lorsqu'on craint encore un peu sans trop y croire d'avoir été contaminé par la peste et que l'on subit à répétitions quelques menus désagréments bien connus des voyageurs relève de la gageure.

La lente déambulation s'annonce rapidement en tous points décevante. Erlan, notre guide adolescent décide farouchement de nous gratifier de son attitude la plus taciturne possible, à l'image de ces durs bergers qu'il salue à peine en route. Peut-il en être autrement en ces derniers jours de vacances perdus pour lui dans les alpages ? Le premier camp de yourtes ne tient plus que par une famille d'enfants. L'aînée, 19 ans, et ses cadets, 6, 11 et 14 ans. Deux jours après, la jeune fille ira rejoindre Bichkek, ses études de management et l'appartement qu'elle partage avec sa petite sœur de 11 ans, envoyée là-bas au collège. Son frère lui, devra rester au village, avec ses parents, la petite dernière et les bêtes de la famille. La lassitude se fait aussi piquante que le froid de la fin d'été. Trop-plein de troupeaux, ennui de ses étrangers qui ne daignent même pas parler un mot de russe, ou rancœur contre les choix parentaux qui imposent qui de la famille ira ou non poursuivre des études. Qui pourrait le comprendre ?

Au bord du lac Song-Kol, une ambiance de fin de partie aussi. Pour Romain, un nouvel accès de fièvre et une nuit d'insomnie et de malaise en fraîcheur de rive. Au réveil, l'impression que toute l'eau du lac ne pourrait suffire à noyer cette apathie.

Lydia avait quitté le Kirghizistan à l'enfance. De parents kazakh et ouzbek, née près de Bichkek, elle avait émigré avec sa famille en Allemagne. Devenue adulte et médecin, elle entend retrouver un peu de ces hautes terres de son Asie Centrale et les faire découvrir à ses amis, le couple formé par Jakob et Lena. Notre chance nous amène à croiser leur route en ce moment si fragile pour Romain. Leur enthousiasme, leur douceur, leur lumière nous réchauffent. Lydia ose à l'instant de notre départ nous glisser. « Nous croyons aux médicaments mais nous croyons aussi qu'il y a un Dieu. Voulez-vous accepter de venir dans notre yourte pour une prière qui vous accompagnera ? » Nous acceptons. Un moment rare, terriblement humain et spirituel, touchant de simplicité.

Au retour du lac vers la ville la plus proche, Kochkor, encore une chance. Le seul véhicule qui daigne nous convoyer traîne déjà deux larges remorques de charbon, en provenance de la plus grande mine de charbon du Kirghizistan, la toute proche Kara-Keche, avec ses 2,5 milliards de tonnes de réserves et ses enjeux géopolitiques. A notre « Kochkor ? », son conducteur nous rétorque laconiquement, « Da ». Nous n'entendrons dès lors plus sa voix des trois heures qu'il nous faudra pour parcourir les quelques soixante kilomètres qui nous séparent de la bourgade. Toute son attention se fera captive de ces crevasses sur l'asphalte comme autant de périls pour son camion KamAZ qui semble déjà avoir achevé une vie précédente à l'époque de l'effondrement soviétique. Un peu incrédules, nous attaquons le col de plus de 2600m. Le levier de vitesse s'enraye et pourtant l'on grimpe. Des bas-côtés montent des regards admiratifs de bergers assis sur leurs talons et dont c'est là l'attraction de la journée. On ne peut s'empêcher de ressentir un peu de fierté, bien peu méritée, à faire partie d'un tel convoi. La descente s'effectue à peine plus vite, le temps pourtant pris d'ôter du jeu double des pneus arrière une énorme roche glanée en cours de route.

Photos : Lac Song-Kol, Lydia, Lena et Jakob

lundi 9 septembre 2013

De la peste en fin de saison

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> Jeudi 22 août. On trouve de tout au Kirghizistan. Des kirghizes certes, des ouzbeks, surtout dans la vallée de Ferghana, des tadjiks, des dounganes, des kazakhs, des tatars, des ouïghours, des russes. Nous y trouvâmes aussi la peste. Inattendue, elle n'avait pas refait surface ici depuis 1981. A Bichkek, elle alimenta beaucoup de conversations. Ailleurs, aucune et surtout pas à Karakol où elle avait frappé. Un village fut coupé du monde -au moment même où nous côtoyions ses abords-, quelques personnes hospitalisées, un jeune berger perdu. Peu de bruit finalement, pour une faucheuse dont tout le monde voudrait avoir oublié l'ombre depuis quelques siècles déjà dans ce foyer d'où elle partit il y a fort longtemps pour venir décimer la moitié de l'Europe.

On l'oublia peu à peu et l'estive reprit tous ses droits. Calme, sérénité, plénitude et lait fermenté. Pour quelques jours encore, ce qui comptait dans le pays se devait d'être sur quatre pattes. Nous le prîmes aussi, ce rythme du bétail, qu'il s'agisse de bovins, de moutons ou de chevaux. En dehors des marchés colorés aux bestiaux, il leur reste dévolue la liberté d'errer à flanc d'escarpe à l'herbe déjà rase en cette fin de saison.
Les enfants aussi s'y ébrouent avant la rentrée, proche. Leurs mères collectent les derniers bidons de lait avant de retourner enseigner au village, vendent les ultimes bols de koumis en bordure de route, le long de l'interminable axe Bichkek-Osh entre le passage de deux cols à plus de 3000m.
La peste soit de la peste.

Photos :  Bazar d'Osh, Marché aux animaux de Karakol, Karakol (ruine soviétique, église orthodoxe, mosquée doungane), Jeti-Oghuz en fin de saison, Song-Kol, Arslanbob.