samedi 8 mars 2014

Natasha et Alina


















 > Mercredi 26 février. Elles ne sont pas compagnes, elles sont « frères ». Elles s'envoient ainsi du « брат  » à longueur de journées et cela leur colle à la peau et en suinte avec toute la sensualité qui s'échappe de l'une, de sombre vêtue, et de l'autre, couleurs vives.

Elles ont peut-être vécu une romance, « mais la relation, ça vous vide et nous avons besoin de nous remplir », tentera de m'expliquer, en français, Natasha. Elles ont chacune leur « femme ». « Je n'aime ni les hommes, ni les femmes...sauf une », confie Alina. Entre elles deux donc, la photographie, bien sûr, énorme, omniprésente, inévitable, évidente. Le goût de l'ailleurs aussi. A Paris, elles ont leur tanière, un antre dont le propriétaire nonagénaire leur semble vivre ses derniers instants à chacun de leurs passages et qu'elles craignent de ne plus retrouver au suivant. La chambre n°9. Une chambre dont ne peuvent même plus rêver les parisiens. Elle ne pouvait être que la leur.

« Je suis femme puisque je suis mère », se convainc Natasha les jours où elle veut mettre en avant sa féminité, jupe trapèze et large pull-over, sombre encore. Une femme mariée, avec German, dont la route s'est trouvée coïncider avec la sienne dans le sillage d'Heidegger. « Nous avons parlé d'Heidegger, pas d'amour. Puis nous nous sommes mariés. C'est important pour Leon, qui nous a choisis comme parents. Aujourd'hui, nous sommes comme frère et sœur, meilleurs amis, sur ce même chemin ».

« Pour prendre des photos, tu dois d'abord voir des films, lire. Pour nous, Sartre, Camus, l'existentialisme, sinon tu finis toujours par parler de technique et d'objectifs ! » Les journées avec elles vont des matins photographies, à admirer la lumière des clichés de Gueorgui Pinkhassov, en paresseux après-midi à la voix gutturale d'Alla Pougatcheva, pour s'éteindre en soirée Tarkovski, sans sous-titres. Comme si une journée où l'on ne frémit point d'émotion était perdue.

Au milieu court Leon bien sûr. L'occasion de quelques parties de billard avec une autre Natalia, mère d'une de ses camarades, pendant ces heures de loisir que s'accordent ces femmes en déposant leur descendance au théâtre -l'école ne commence en Russie qu'à sept ans. « Cela fait aussi partie de mon travail de mère ! », s'amuse Natasha. Une parenthèse hors du temps, au loin de la lumière pendant les heures les plus claires de la journée, avec autour de nous des gamins aux airs de croupiers.

Alina et Natasha se gaussent des hipsters qui rôdent dans le centre de Moscou, feignant d'ignorer qu'elles en sont. Apolitiques, même si au passage du Kremlin Alina me lance : « It's here that lives our fucking P...... ». Elle a trouvé « La vie d'Adèle » absolument dégoûtant, « quand tu as tout vécu de l'amour avec les femmes comme moi, tu sais que l'amour -pas le sexe, l'amour-, ça n'a rien à voir avec cela ».
En septembre, elles ont vite été lassées de l'énergie dégagée par les clichés du festival de photojournalisme de Perpignan. Les images de guerre, le militantisme n'atteignent pas l'univers où elles gravitent. Elles ont préféré, encore une fois, tailler la route. Quelques heures d'attente de trop peut-être pour un auto-stop et finalement Barcelone.

Bientôt Paris, comme une amante qu'on ne quittera jamais. Je vous attends pour Cartier-Bresson.

Photos : Moscou, Natasha, Alina, Natalia, German et Leon

Nous avions rencontré Natasha et Leon à Tbilissi sur le chemin aller de notre périple. Pour moi quelque part, le retour s'achève ici, à Moscou, chez elle.
Les photos qui parlent le mieux de Natasha et d'Alina étant bien sûr celles d'Alina et de Natasha, prises au cours de leurs nombreux voyages toutes les deux, voici ce qu'elles ne veulent en aucun cas considérer comme des travaux de photographes mais comme des moments immortalisés de leurs vies de frères.
Pour découvrir leurs travaux, pour de bon, allez ici et .

Photos : Natasha et Leon par Alina, Alina par Natasha, la chambre n°9




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